Désespérance, colère, effarement… Que dire devant cette nouvelle guerre en Europe ?
Bien sûr il y a toujours des guerres, ici ou là sur notre pauvre Terre… Bien sûr, celle-ci n’est sans doute pas la plus sanglante, la plus abominable. Simplement elle se déroule plus près de nous, et comme on sait la distance dilue les émotions, l’empathie en particulier. Et puis on avait comme un espoir – même pas : une intuition – qu’on partage une même culture, « eux » et « nous »…
Absurde, démentielle manifestation de puissance d’un homme, Poutine bien sûr, qui s’arroge droit de vie et de mort sur quiconque, tyran absolu à l’intérieur de son immense domaine comme à l’extérieur. Il le prouve depuis longtemps, en Russie à l’égard de toute forme d’opposition, à l’extérieur par exemple en Tchétchénie. Ce n’est pas pour rien qu’il a été formé au sein du KGB, le sinistre service de renseignement soviétique !
La guerre en Ukraine. La guerre à Kiev. Serait-on revenu à ce que le XXe siècle nous a apporté de pire ?
Et pourtant…
Et pourtant, oui… Il n’est pas interdit de réfléchir aux évolutions géopolitiques de ces dernières années. Par exemple, à la tentation d’arrimer l’Ukraine à l’OTAN, et à la crainte qu’un tel projet pouvait, légitimement, susciter aux yeux du patron du Kremlin.
L’OTAN : sombre machine de guerre, fruit de la deuxième guerre mondiale et de la guerre de Corée. Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Alliance militaire vouée à la défense de l’indépendance et des valeurs de « l’Occident » – mais dont fait partie, par exemple, une Turquie pas plus attachée auxdites valeurs (les Droits de l’Homme par exemple) que bordurière de l’Atlantique… L’OTAN, alliance de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord. Enfin… en théorie ! En pratique, tout le monde voit bien que ce sont les USA qui commandent, tantôt pour défendre leurs intérêts en les recouvrant de ce voile « collectif », tantôt en faisant défendre leurs intérêts par leurs « alliés » (vassaux, oui !) sans trop se mouiller… Commode, il faut en convenir.
Bref : l’OTAN en Ukraine, ce serait, il faut en convenir, les États-Unis aux portes de la Russie. Et l’on peut comprendre que les Russes, Poutine en tête, n’apprécient guère ça…
Bien sûr, on peut arguer que Lettonie et Estonie étaient déjà membres de l’OTAN et que, donc, la situation n’était pas vraiment nouvelle. Malheureusement il faut bien voir que l’Ukraine c’est bien autre chose – en matière de puissance réelle –, et aussi que Poutine se sent probablement autrement plus puissant aujourd’hui que lors de l’adhésion à l’OTAN des deux petites républiques baltes, au milieu des années 2000.
On peut rêver !
On peut ? OK, alors rêvons un brin. Rêvons que pour une fois, ce cher « Occident » – j’entends par là les dirigeants des principaux pays européens et le gouvernement US – ait daigné écouter ce que revendiquait Poutine au long de ce triste mois de janvier 2022. Rêvons qu’ils aient ouvert les yeux et, plutôt que surarmer l’Ukraine et ses confins (tout en assurant le gouvernement ukrainien d’une « solidarité » dont on voit aujourd’hui ce qu’elle vaut !), qu’ils aient dit quelque chose comme : « OK, nous comprenons, il convient qu’entre deux alliances militaires il y ait une distance raisonnable.» Ou même (puisqu’on rêve, hein…) : « Au fait, nous voyons maintenant que loin de nous protéger, cette vieille alliance militaire n’est plus source que de vaines méfiances, de peurs dangereuses et de susceptibilités malsaines. Elle ne pouvait nous défendre que de vous. Et vous… n’avez peur que de nous. Alors : basta, over, fertig : on liquide ce vieux machin, l’OTAN n’est plus qu’un souvenir, et… allons boire un verre de vodka pour fêter ça, vieux frères !»
Bon sang, ça peut mener loin un rêve…
A nous, celles et ceux « d’en bas », de résister !
Je ne suis pas prophète. Pas même politologue. Je n’ai aucune idée de ce qu’un tel discours – et sa mise en pratique, surtout – aurait eu pour effet, en Ukraine et dans le reste du monde. Mais je peine à croire que le résultat eût été pire que ce à quoi nous assistons aujourd’hui.
L’Occident tient les rênes du système bancaire. La Russie, les robinets du gaz et partiellement du pétrole. On parie que si on les laisse faire, ces deux « systèmes » finiront par s’entendre (fric contre carburant, gaz contre moyen de développement) ? Et que l’Ukraine sera sacrifiée dans l’affaire, comme la Tchécoslovaquie le fut en 1938 ?
Reste à espérer que nous, les peuples d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, saurons résister à tel monstrueux deal, et ne pas lâchement courber l’échine, comme nos grand-parents le firent lors des Accords de Munich.
Oui, résistons : Par les manif (ça a bien commencé, dirait-on). Par des pétitions. Par des lettres de lecteurs, par toutes les formes d’action non-violente qu’on pourra imaginer et qu’on trouvera judicieuses. Contraignons nos autorités à un tantinet de dignité. Refusons-leur de prétendre qu’en cédant au cauchemar, elles « prennent soin de nos intérêts ».
Il est peut-être enfin temps de se souvenir que même mal gouvernée, la Russie fait partie de l’Europe.
Morges, le 27.02.2022 / Philippe Beck