Le 19 septembre 2022, le Conseil des États a refusé (ou du moins repoussé) la ratification d’une convention de l’OIT (Organisation internationale du travail) concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Déplorable !
La convention en question (n° 190, adoptée le 21 juin 2019) entend protéger toute personne au travail contre toute forme de violence et de harcèlement, notamment lié au sexe ou au genre.
Les États signataires s’engagent à légiférer en la matière, à garantir des « politiques pertinentes », à adopter une stratégie globale en vue d’éliminer violence et harcèlement du monde du travail, à établir des mécanismes de contrôle et de suivi, à garantir l’accès à des moyens de recours et de réparation, etc.[1] Bien entendu cela reste déclaratif et doit être interprété dans chaque pays, mais les principes directeurs sont clairs.
Mais en Suisse, « y en a point comme nous », semble penser la majorité du Conseil des États : La législation actuelle serait entièrement suffisante, a-t-il été prétendu. Le projet de ratification n’a même pas été mis en consultation ![2]
Le CENAC s’interroge : Pourquoi refuser de ratifier un texte à portée internationale sous prétexte qu’il serait inutile chez nous ? Si tout est déjà si bien réglé, si notre législation ne comporte aucune lacune, alors une ratification serait justement facile et sans problème – et montrerait au monde une détermination de notre pays en ce domaine. Ce n’est pas rien…
Quels arguments ont justifié ce refus ? Deux uniques interventions l’ont motivé :
Pour M. Philippe Bauer (PLR – Neuchâtel), il y a eu déni de démocratie puisque le Conseil fédéral n’a pas soumis ce projet à consultation comme il est d’usage, mais s’est contenté de le présenter à la « commission tripartite » qui réunit des représentants des travailleurs (qui ont soutenu le projet), des employeurs (qui l’ont accepté) et de la Confédération et des cantons. Plus encore, M. Bauer déplore que la convention ne nécessite – toujours selon le Conseil fédéral – aucune modification législative « en l’état actuel du droit » ; signer serait donc entrer « dans un processus dont nous ne maîtrisons pas les développements ultérieurs ». Mmmh… Argumentation un peu maigre, à notre avis !
L’argumentation de M. Beat Rieder (le Centre – Valais) est encore plus curieuse : Il relève que l’article 8 lettre a de la convention enjoint les États signataires à « reconnaître le rôle important des pouvoirs publics en ce qui concerne les travailleurs de l’économie informelle », et s’offusque de cette allusion au travail au noir : « Nous n’en avons pas du tout en Suisse, nous l’avons interdit, nous n’en voulons pas »[3]. Les milliers de personnes sans papiers qui travaillent dans les ménages, dans l’agriculture et ailleurs, apprécieront…
Et puis, poursuit M. Rieder, la convention implique « une série de devoirs » qui « ne sont pas clairement définis ». Évidemment : une telle convention ne vise nullement à régler les points de détail, mais à donner des lignes guides aux États signataires. Comment pourrait-il en aller différemment, vu la diversité des législations existantes dans le monde ?
Mais la vérité finit par sortir du bois, dans la même intervention : « On nous dit que la suisse ne devrait rien changer à sa législation, […] pourtant il n’est pas clair si tous les partenaires contractuels l’interprètent de cette manière, en particulier les syndicats et les employeurs » (c’est nous qui soulignons). Ah-ha. Une certaine crainte que les syndicats n’utilisent cette convention pour faire avancer leur cause ne serait donc pas étrangère à ces réticences ? (Car, hein, on ne voit pas que les employeurs risqueraient de mettre quelques bâtons dans la fourmilière de notre si pur et si chaste tissu économique…)
Honnête quand même, M. Rieder a recommandé à ses collègues de renvoyer l’affaire au Conseil fédéral en vue d’une « ausführliche Vernehmlassung » (une consultation détaillée).
Le Conseil des États a suivi ces deux uniques interventions et décidé de ne pas entrer en matière. On espère que le Conseil national fera mieux…
Pour le CENAC (Centre pour l’Action non-violente)
Le 7.10.2022 / Philippe Beck
12.12.2022 : J’apprends avec un immense plaisir que contrairement au Conseil des Etats, le National accepte la ratification de ce traité. Le sujet reste donc d’actualité, ouf !
[1] Source : OIT, https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:C190
[2] Source : Conseil des États, https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20220045#!#AffairSummary
[3] « Die informelle Wirtschaft ist die Schattenwirtschaft, die Schwarzarbeit, der Schwarzmarkt; das haben wir in der Schweiz gar nicht, das haben wir verboten, das wollen wir auch nicht.» (Source : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=58011)