…dit le proverbe. Et justement : il semble bien que depuis que l’actuelle pandémie a corseté notre société, jeunesse ne parvient plus à se faire…
Du coup la tension monte – et l’on peut s’étonner qu’elle ait mis si longtemps à monter –: ces derniers mois on est passé des fêtes sauvages aux manifs, puis tout récemment des manifs à ce qu’il faut bien appeler des émeutes. A quoi répondent des mesures, évidemment, policières : lances à eau, bombes lacrymogènes, interpellations, expulsions et amendes pleuvent…
Est-ce la bonne réaction ? Qu’il soit permis d’en douter…
Efforçons-nous de comprendre, d’abord. Car sans comprendre on agit de travers – forcément.
L’adolescence, pour commencer. C’est l’âge où le jeune apprend à se séparer de ses parents, nous disent les psychologues. Et cette séparation passe, bien sûr, par d’autres agrégations : c’est l’âge où les copains sont indispensables, où l’on apprend d’eux – et avec eux – des comportements, des jeux, des attitudes que papa et maman (si tant est qu’on les ait encore sous son toit…) ignorent, voire rejettent ; où l’on ose en bande ce qu’on n’oserait jamais tout seul ; où nos idées changent, nos passions changent, nos modèles changent, tout comme et à mesure que nos corps changent. C’est l’âge, enfin, où l’on s’éveille à l’amour et au sexe.
Et tout cela exige des rencontres, beaucoup de rencontres. Car enfin, ce n’est pas en se voyant restreint à côtoyer « cinq personnes à l’intérieur et dix à l’extérieur » qu’on pourra découvrir ce monde de jeunes, en explorer les tribus et les codes, chercher et chercher encore jusqu’à découvrir de vrais amis et une – toute provisoire – âme sœur…
Et là, 2020, puis 2021 : désolé, vous ne pouvez pas. Restez chez vous. Ou sortez en tout petit groupe. Et rentrez chez vous le soir – d’ailleurs, où aller ? puisque tout est fermé…
Désespoir. Oui, j’imagine, je cherche à retrouver mes sensations de gamin de 15, 16 ans : désespoir est le mot juste !
Et quand un désespoir se prolonge… ça devient une dépression, non ?
Passons à la tranche d’âge supérieure. L’ado d’hier est devenu étudiant, ou apprenti. Il est censé côtoyer des collègues aguerris, ou des camarades d’étude et des profs.
Ouiche… De fait c’est télétravail pour l’un comme pour l’autre. Au moins en large part pour l’apprenti, à temps complet pour l’étudiant.
Avez-vous entendu les témoignages de ces jeunes filles et jeunes gens qui ont entamé des études à la fin de l’été 2020 ; qui avaient, en abordant ces études, des images de camaraderie, de têtes penchées côte à côte (des têtes côte à côte ? passons…) sur des notes de cours ; d’auditoires bondés où l’on se précipite très à l’avance pour s’assurer une place ; de bibliothèques savantes et studieuses ; de restaurants universitaires où grouille une joyeuse foule de congénères…
…Et qui se retrouvent chez eux – c’est-à-dire, pour la plupart : chez leurs parents, puisque à quoi bon dépenser de l’argent pour une chambre d’étudiant si c’est pour ne pas pouvoir fréquenter l’uni, la haute école ou le “Poly” – ? Coincés dans leur chambre d’enfant, donc, avec un ordinateur pour seule compagnie ? Alternant séances Teams, Zoom ou autre en grand groupe avec les mêmes en petit groupe et du boulot en solitaire – toujours devant l’écran ? Avec de moins en moins envie de s’habiller car à quoi bon ? Étudier car à quoi bon ? Vivre car, ah merde, À QUOI BON ???
Là encore, et pardon si je m’emporte, je pense à ma joie en déménageant de chez mes parents pour une chambre en foyer d’étudiant – espace pourtant combien plus retreint et inconfortable –, en découvrant les auditoires et les couloirs et les bibliothèques et les réfectoires et les mille lieux de l’activité estudiantine – et des loisirs de ce groupe d’âge, en même temps ? En me sentant devenir enfin adulte, avec des potes du monde entier, des connaissances et visions du monde que mon milieu d’origine ne m’aurait jamais offertes, des possibilités qui me paraissaient alors infinies… Et m’imaginant remplacer tout cela par un écran, et encore un écran, et toujours un écran (même si en 1971 il n’en était évidemment pas question…), c’est une vraie nausée qui me suffoque. Quelle horreur ! Quelle vie – ou plutôt : quelle absence de vie, justement…
Alors quoi, me dira-t-on : Faut-il les laisser faire ? Vivre à leur guise, quitte à attraper massivement ce fichu Covid… et à le transmettre, entre eux d’abord, à leurs proches de tout âge ensuite ?
Je ne sais pas. Je n’ai pas la prétention de savoir ce qu’il est mieux de faire, ce qui vaut mieux. Je vois simplement que continuer comme ça, c’est nous condamner à avoir plusieurs générations de jeunes devenir complètement zinzins, les plus solides simplement détraqués, les moins costauds dépressifs, et une minorité parmi eux carrément suicidaires. Je vois des psychologues surchargés pour 10 ou pour 20 ans. Je vois une société complètement déréglée par l’horreur de cette jeunesse malade, qui entrera malade dans ce qu’il est convenu d’appeler l’âge mûr, qui fera des enfants et les élèvera en continuant d’être malade… Et j’ai la monstre trouille, oui, je le proclame, du monde que cela nous constituera !
Peut-être…
Peut-être que maintenant qu’arrivent les auto-tests, tout imparfaits qu’ils sont, on pourrait autoriser les gens (bien sûr il est hors de question de favoriser juste une tranche d’âge !) à sortir librement à condition d’avoir fait un auto-test le matin même ? Ou dans les 48, ou les 72 heures – pour une fois c’est une norme qu’il appartiendrait légitimement à des épidémiologues et virologues de nos “task forces” de déterminer – ? Une ouverture basée sur la confiance : quelle belle vertu civique à développer, non ?
Ou, si c’est trop – trop dangereux, donc, en termes de santé collective[1] –, au moins rouvrir complètement les universités et hautes écoles ? Non pas un jour par semaine, ou par groupes de 50 maximum – c’est pratiquement irréalisable et de toute façon insatisfaisant – mais complètement ? Quitte, j’y reviens, à exiger (par signature d’un engagement personnel ?) à s’auto-tester une, voire deux fois par semaine, et à rester chez soi en cas de résultat positif.[2]
En tout cas, et ce sera ma conclusion : tout plutôt que prolonger l’atroce situation actuelle. Oui, TOUT. Je préférerais mille fois voir doubler le nombre de malades[3] – et même d’hospitalisations, et même de décès Covid si nécessaire – que voir toute une jeunesse sombrer dans la dépression ou basculer dans une violence réactionnaire, dans un processus qui l’amène à confondre autorité et violence, ordre public et carcan insupportable.
Et vous ?
Morges, le 12.04.2021 / Philippe Beck
P.S.: Je joins à ce texte les résultats d’un sondage publié le 15.03.2021 par les associations d’étudiants des 7 HES valaisannes, avec plus de 700 réponses. C’est édifiant…
Resultats-sondage-SantePsy-Assoc-Etudiants-HES-15-03-2021.pdf
[1] Mais là encore, je mets en garde : ce serait une fois de plus ne voir que la santé physique, en ignorant complètement la santé mentale, comme nos autorités le font – dans le monde entier ou presque – depuis le début de la pandémie !
[2] Je rêve d’une nouvelle génération d’auto-tests dont le résultat serait lisible immédiatement (ceux disponibles actuellement exigent un quart d’heure d’attente). Cela permettrait de multiplier les tests à l’entrée des locaux – universités, restaurants, salles de concerts, stades…– Cela devrait être faisable, avec l’aide de la PC ou de l’armée au besoin. Un test réussi = un tampon sur la main, valant sésame pour la journée, comme dans n’importe quel festival…
[3] Et je précise que je ne minimise nullement la gravité de cette maladie pour nombre d’entre nous. J’en sors fort péniblement moi-même, après plusieurs semaines d’isolement dont 5 jours à l’hôpital…
Merci, Philippe : comme bol d’air frais le matin, c’est très stimulant ! Avec 3 ados concernés dans mon entourage direct, j’apprécie la mise en mots de ta révolte, ton questionnement et tes pistes de solutions…
Je passe donc très volontiers, comme suggéré, ta prose plus loin, avec foi (!) et plaisir…
Merci Philippe pour tes réflexions précieuses. Il y a une année j’ai vu de près la conséquence désastreuse que cet isolement a pu provoquer chez des jeunes. Un jeune ami – qui était à l’école pendant un certain temps avec un de mes fils- s’est suicidé, car il souffrait trop la coupure de ses contacts sociaux. Antonin ne pouvait plus supporter le discours anxiogène lors du premier confinement et a décidé de mettre fin à sa vie brutalement.
Là, à nouveau, j’apprécie beaucoup tes réflexions. Merci de les avoir posées par écrit.
Par rapport à mes fils jeunes adultes et confrontée à beaucoup de jeunes dans mon cadre professionnel, je me questionne aussi beaucoup sur l’avenir de la génération actuellement jeune adulte et actuellement adolescente. Pour un de mes fils, cela a été très difficile de suivre des cours à distance (il est passé très près d’une dépression). Pour l’autre, c’est maintenant qu’il se sent tellement limité dans ses projets, ses projections. Pour le troisième, tout le long, il y a eu des hauts et des bas. Les hauts l’emportaient, mais là… c’est trop long. Comme toi, je me dis souvent, TOUT sauf la poursuite de cette situation pour eux.
Mon espoir aujourd’hui : que cette jeunesse puisse vivre le mieux possible l’été qui vient et que la rentrée scolaire d’août – septembre (apprentissages, HES, Unis… ) se passe en présentiel et atteigne au maximum les conditions d’avant.